La France a connu deux crises successives en seulement quelques mois. Elles ne sont bien entendu aucunement comparables cependant, toutes deux ont transformé à leur manière le rapport des Français au travail et à la digitalisation.

Certains sujets nécessitent un catalyseur pour progresser, à l'image de ces réactions chimiques qui ont besoin d'un élément extérieur pour se déclencher. Je constate aujourd'hui que ces deux crises successives (fortes perturbations dans les transports, puis la crise sanitaire inédite que nous vivons depuis plusieurs semaines) ont, par la force des choses, accéléré l'adoption des nouvelles technologies par les Français. Elles ont apporté un changement d'usage, en l'occurrence vers plus de digital, qui nous semblera demain une évidence.

Vers une généralisation des échanges à distance

Jamais la question du télétravail n'aura autant progressé que ces six derniers mois. Tout comme celles de l'équilibre familial et des liens intergénérationnels. Qu'il s'agisse de déplacements rendus plus difficiles par la survenue d'un mouvement social, de moyens de transport qui deviennent potentiellement des lieux de contamination ou de mesures fortes en matière de distanciation sociale, ces deux moments ont en effet généré des contraintes qui nous ont obligés à penser différemment.

À penser, mais aussi à agir différemment. En matière de changements d'usage, prenons l'exemple de l'application de visioconférence Zoom qui est passée de 10 millions d'utilisateurs en début d'année à 200 millions quotidiennement. Ce qui est d'ailleurs assez savoureux puisque Zoom a fait l'objet de critiques régulières en matière de la protection des données personnelles.

Le travail réalisé par le corps professoral pour assurer la continuité pédagogique est également admirable. S'il est souvent difficile de transformer une grande organisation, le Ministère de l'Éducation a su s'adapter. Dès la fin février 2020, une circulaire était adressée aux différents rectorats pour anticiper la fermeture des classes. De plus, les établissements peuvent s'appuyer sur le dispositif de classes virtuelles du CNED ainsi que sur un ensemble de ressources numériques éducatives.

Enfin, même s'il semble avoir moins pris, citons l'exemple des téléconsultations proposées par les mutuelles à leurs adhérents.

Il est encore trop tôt pour mesurer l'impact d'une ouverture massive de tous ces services numériques sur les habitudes des Français. Cependant, les crises ont marqué un pas non négligeable vers une démocratisation des technologies digitales.

Le risque de nouvelles inégalités au sein des entreprises

Dans ce contexte de crises, des solutions de substitutions et de contournements ont rapidement vu le jour. À l'instar des grandes universités, dont les cours magistraux se déroulent désormais à distance, ou celui plus symbolique de l'appareil politique européen (et de l'administration au sens large) utilisant les nouveaux moyens de communication sur IP.

À contrario, ces évènements mettent aussi en lumière tous ces pans de l'économie française qui ne peuvent pas être dématérialisés. L'univers du spectacle vivant ou encore le secteur du tourisme sont complètement à l'arrêt. Il est essentiel de rester vigilant face à ce nouveau fossé qui est en train de se creuser. Certaines tâches peuvent être réalisées à distance et d'autres pas. Outre le secteur hospitalier bien entendu, il y a aussi tous les métiers de la propreté, de la production industrielle ou de l'artisanat. Il ne faudrait pas non plus que s'installent de nouvelles tensions entre les cadres télétravailleurs et les collaborateurs restés sur le terrain.

Reste un autre point de vigilance : celui de la continuité de la démocratie en moment contraint. La classe politique s'est longuement exprimée sur la question du maintien ou non des élections municipales, mais à aucun moment le sujet du vote électronique n'a été traité. Or, il est peut-être temps d'ouvrir ce débat.

Dans quelques années, nous aurons probablement oublié que certaines de nos habitudes de vie proviennent de décisions prises dans l'urgence de la crise à l'instar de Yuval Noah Hariri, professeur à l'université de Jérusalem et auteur entre autres de l'excellent Sapiens, qui raconte que cela faisait 4 ou 5 ans que se posait la question des cours magistraux en vidéo. Désormais, personne ne se la pose plus. La continuité des cours à distance est une évidence. Il existe de nombreux exemples comme celui-ci, des questions sur lesquelles nous avons buté intellectuellement, et qui nous apparaîtront avec le recul comme une évidence.

Gardons cependant en tête que l'utilisation massive des nouvelles technologies digitales ne doit pas se faire au détriment des relations en face à face. Rien ne remplace la rencontre physique, ne serait-ce que pour établir un premier niveau de confiance entre les interlocuteurs. Rappelons-nous aussi que certaines tâches ne peuvent pas être pour l'heure dématérialisées, et qu'il est de notre devoir de ne pas faire émerger de nouvelles inégalités.

Par Guillaume de Lavallade, directeur général Hub One © Les Echos